*This byline article was published on January 19th, 2022 in the French publication Journal du Net. Source: https://www.journaldunet.com/economie/finance/1508181-relation-fournisseur-et-si-clients-et-fournisseurs-co-financaient-le-traitement-des-factures/
La survenue de la Covid-19 et la soudaine nécessité de réorganiser le travail ont bouleversé les relations des entreprises avec leurs fournisseurs. Selon la Banque de France, entre le premier et le troisième trimestre 2020, les retards de paiement sont passés de 3 à 14,4 jours.
Cette situation n’est pas sans conséquence, le Médiateur des entreprises estime à 16 milliards d’euros le coût engendré par un dépassement des délais légaux de 15 jours… à la charge des fournisseurs !
Pour répondre à cet enjeu, de nombreuses entreprises déploient des plateformes P2P (Procure-to-Pay) auxquelles elles intègrent leurs fournisseurs. Outre la simplification des relations comptables, l’écosystème ainsi créé améliore les relations clients-fournisseurs et permet par conséquent de créer de véritables partenariats stratégiques à long terme.
Mais alors que ces plateformes technologiques bénéficient à chacune des parties, on peut légitimement s’interroger sur la charge qu’elles représentent et qui doit l’assumer.
Le statu quo de la relation client-fournisseur
Le traitement des factures fournisseurs a toujours représenté un coût pour les entreprises. Cela implique le personnel pour les traiter mais également, et on y pense moins, les frais généraux tels que le papier, l’affranchissement ou plus simplement l’enveloppe. Pris individuellement, ces coûts sont dérisoires. Mais pour une entreprise qui compte des centaines de fournisseurs, leur réduction fait figure d’enjeu majeur.
Depuis quelques années, l’essor d’internet et du courrier électronique ont été l’opportunité de diminuer drastiquement ces coûts. Les considérations écologiques ont également freiné l’utilisation du papier avant que la crise sanitaire ne vienne parachever sa (presque) disparition. Enfin, pour les derniers réfractaires, c’est la législation imposant la généralisation de la facture électronique en 2024 qui clôturera cette transition.
Ce contexte a donc poussé de nombreuses entreprises à prendre les devants en s’équipant de solutions de dématérialisation et de traitement automatisé des factures. Toutefois, même en ayant recours à l’EDI (Echange de Données Informatisé), le coût de traitement d’une facture fournisseur reste à la charge du client. Autrement dit, c’est au client d’assumer le coût de la procédure qui va lui permettre de payer son fournisseur !
Si l’on y réfléchit, la situation est d’autant plus paradoxale que ces solutions, payées par les clients, bénéficient aux fournisseurs. Dans le cas d’une mauvaise facturation par exemple, c’est le client qui va identifier le problème et le solutionner afin de ne pas faire subir à son fournisseur un retard de paiement. Pourquoi alors devrait-il être le seul à investir ?
La réponse à cette question réside dans le fait que les entreprises s’inscrivent le plus souvent dans une logique interne. Pour que la situation change et soit acceptée, il est nécessaire d’élargir le périmètre de réflexion et de penser en termes d’écosystème de partenaires. Autrement dit, il ne faut plus avoir une simple logique de P2P mais considérer que le processus concerne deux acteurs qui doivent échanger régulièrement afin d’assurer leur bonne relation et surtout leur stabilité financière. Il apparaît donc normal qu’ils réfléchissent à cofinancer l’outil qu’ils utilisent.
Le marché est-il prêt pour ce changement de paradigme ?
Le co-financement d’une plateforme entre un client et un fournisseur n’est pas une démarche usuelle en France. C’est pourquoi il n’existe aujourd’hui aucun modèle précis duquel s’inspirer. Néanmoins, d’autres pays ont une démarche plus progressiste en la matière. C’est notamment le cas de la Roumanie qui peut ici servir d’exemple.
Deux options s’offrent alors aux entreprises qui voudraient faire participer leurs partenaires au financement. Ainsi, elles peuvent souscrire elles-mêmes au service et facturer les utilisateurs à postériori, ou confier cette charge à l’éditeur de la solution qui propose alors un contrat en conséquence.
Mais quelle que soit la méthode choisie, les parties doivent également s’entendre sur les modalités de facturation. On peut imaginer que celle-ci soit définie en fonction de la consommation. Les critères de calcul seraient alors le volume de documents traités ou encore le nombre d’utilisateurs. On peut également envisager un modèle où chaque partie aurait accès aux mêmes services, de manière illimitée, dont le coût serait divisé à part égale entre chaque partie. Enfin, on peut penser à la mise en place d’un tarif de base partagé entre les parties et qui serait complété par des options. Un accusé de réception ou le contrôle de conformité réglementaire d’une facture intéressant davantage le fournisseur que le client, il ne serait pas déraisonnable qu’il en assume le coût unilatéralement.
Le coût n’est pas le seul enjeu à considérer. Une telle démarche n’a d’intérêt que si les parties adhèrent à l’idée d’utiliser un tel outil. La condition pour y arriver est qu’il ne transforme pas les usages de manière radicale. Autrement dit, la plateforme choisie doit s’adapter aux habitudes des utilisateurs, notamment en intégrant le type de sources qu’ils privilégient. Certaines entreprises continuent en effet d’éditer des factures au format papier. Et même parmi celles qui ont opté pour le format électronique, il existe de nombreuses disparités et toutes n’intègrent pas de structuration des données, même si l’arrivée de la facture électronique obligatoire pour tous d’ici 2024 va changer la donne.
Le deuxième élément permettant de pousser un partenaire à utiliser la plateforme qui lui est proposée réside dans sa capacité à apporter de la valeur ajoutée. Si la seule proposition de valeur consiste à transposer numériquement des opérations initialement réalisées à la main, il y a fort à parier que les habitudes, souvent installées depuis longtemps, reprendront inexorablement le dessus. C’est pourquoi la plateforme choisie doit permettre d’assurer un suivi précis de l’état du traitement des factures. Mais ce n’est pas tout car l’automatisation et l’intelligence artificielle permettent aujourd’hui d’aller beaucoup plus loin. Par exemple, il est possible d’opérer un rapprochement entre une facture et d’autres documents qui lui sont liés (bons de commande ou de réception par exemple). Cela permet d’accélérer le temps de traitement des factures et de s’inscrire dans une démarche vertueuse.
S’équiper d’une plateforme de traitement des factures relève souvent d’une volonté propre à une entreprise. Pourtant, elle concerne en réalité tout un écosystème dont on se rend compte que chaque composante y trouve un intérêt. Favoriser le recours à ce type de solutions dans une démarche collaborative et financée de manière équitable est donc un projet que les entreprises devraient prendre à bras le corps. Non seulement elles en retireront un bénéfice individuel immédiat dans leurs opérations du quotidien, mais à l’usage, elles amélioreront la qualité de la relation qu’elles entretiennent avec leurs partenaires. Du point de vue des ressources humaines, un tel outil permettra de simplifier le travail des équipes, notamment des comptables qui, à la place de contrôles systématiques et répétitifs, réaliseront un véritable travail d’investigation à forte valeur ajoutée, sur des cas précis que la technologie n’aura pas réussi à résoudre.